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Gentrification de l’Église

NDLR : Nous reproduisons ici avec l’aimable autorisation de son auteur un texte publié chez nos confrères du Courrier des Stratèges

Il serait malhonnête que l’auteur de ces lignes ne précise pas « d’où il parle ». Avant, donc, de me livrer à une approche purement intellectuelle du sujet, je dois d’abord professer ma foi chrétienne et catholique. Je suis ce que l’Église, plutôt que les sociologues, appelle un « catholique pratiquant », c’est-à-dire allant au moins une fois par semaine à la messe, le dimanche étant célébré comme un devoir religieux – mais également, et ceci n’engage que moi, une très grande joie. Autrement dit, cette fois-ci d’après les sociologues, j’appartiens à 1,8% de la population française.

Enfin, en tant que catholique, je crois aux promesses de Jésus annonçant que « les forces de l’enfer ne prévaudront point contre [l’Église] » (Mtt 16 :18). Il n’y a donc aucun désespoir dans les lignes que je m’apprête à écrire, quand bien même l’histoire nous enseigne que l’Église a pu quasiment disparaître de régions où elle avait pourtant su inspirer de grands esprits, comme Tertullien à Carthage dans une certaine mesure, et bien plus encore saint Cyprien, et saint Augustin, pour ne citer qu’eux ; tous les trois nés dans des contrées devenues musulmanes[1]. C’est donc irrationnellement que je professe cette foi, avant de me livrer à une analyse qui, elle, se veut rationnelle.

Baisse des vocations

Pour mieux comprendre l’échec social de l’Église, c’est-à-dire son confinement actuel dans un milieu socio-culturel que l’on peut qualifier de « bourgeois » au sens idéologique du terme, l’honnêteté oblige à rappeler que, dès le début, le christianisme s’est répandu d’abord dans les milieux urbains, là où l’information circule le plus rapidement – au point que le mot « païen », forgé par les chrétiens eux-mêmes, signifie simplement « paysan ». Tout au long de son histoire, l’Évangile a été annoncé dans des lieux où le niveau de vie, conditionnant le niveau culturel, pouvait être moins bas qu’ailleurs, et s’il est vrai que Dieu a élu le peuple le moins brillant du Proche-Orient pour que la confusion ne soit pas faite entre la puissance temporelle et l’économie du salut, s’il est vrai que, suivant la même logique, le Verbe s’est incarné non pas comme prince, mais comme fils d’un artisan, il ne faut pas s’imaginer que les premiers chrétiens furent forcément des pauvres dressés contre les riches. « Il renverse les puissants de leurs trônes, comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides », comme dit Marie, doit s’entendre au sens spirituel ; dès le Ier siècle à Rome, plusieurs membres de l’illustrissime famille des Jules (César) se convertissent à la Bonne Nouvelle. Le fait, donc, que l’Église s’appuie sur les classes économiquement et culturellement privilégiées n’est pas nouveau. Ce qui n’interdit pas de s’interroger sur, d’une part, la désertion actuelle des classes populaires, et d’autre part, l’abandon de ces classes par le clergé lui-même.

L’Église a déserté le terrain moral

La désaffection religieuse en France n’est pas un phénomène nouveau. Au milieu du XVIIIe siècle, sous la poussée de l’athéisme et des libertins, la foi commune entre en crise : à la veille de la Révolution, il n’y a plus que six moines à l’abbaye de Fontgombault, et son père abbé réside au-dehors, dans la ville voisine du Blanc, en compagnie de sa maîtresse. Après la Révolution, la noblesse est demeurée voltairienne, c’est la génération suivante qui se convertit, on assiste à une renaissance entre 1835 et 1870 ; puis vient la Commune, le socialisme gagne suffisamment le prolétariat pour qu’un reflux s’observe jusqu’à la Grande guerre. Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est l’ampleur de la désaffection. Après la Deuxième guerre mondiale, plus de 90% des Français étaient baptisés, quand bien même la pratique pouvait être très irrégulière ; 80% suivaient le catéchisme et atteignaient le stade de la Profession de foi – qu’on appelait alors « communion solennelle ». Vers 1965, à l’issue du Concile Vatican II, 25% des Français allaient à la messe chaque dimanche, contre 1,8 aujourd’hui : on doit avouer que la ré-évangélisation prônée par Jean-Paul II a échoué. 

Paradoxalement, ce qui dans les premiers temps avait fait le lit du christianisme, le milieu urbain, devint son lieu d’abandon avec l’exode rural, car les idéologies véhiculées par le régime républicain furent mieux transmises dans les établissements d’éducation nationale, au point qu’aujourd’hui les nouveaux professeurs des écoles catholiques se réduisent à n’en plus être que les relais : la rivalité entre le curé et l’instituteur a disparu, faute de conviction du côté du curé. 

Faute de combattants aussi : 1.500 prêtres étaient ordonnés en 1950, contre 88 cette année. La France comptait alors 50.000 prêtres, contre 5.000 aujourd’hui, qui de surcroît ont une moyenne d’âge de 75 ans. Cette réduction sans précédent du nombre des vocations sacerdotales et religieuses met à jour, comme la mer qui se retire, le noyau dur d’une évangélisation à laquelle seule l’élite sociale – plus exactement une minorité catholique au sein de l’élite sociale – est sensible. Il est significatif que l’aristocratie[2], un corps social aboli officiellement depuis deux cents ans et qui ne représente aujourd’hui que 0,2% de la population, remplisse environ 15% du volume des vocations.

L’élite sociale et intellectuelle du monde catholique aura été, à court terme, la seule à pouvoir répondre à la volonté légitime de l’Église d’approfondir la foi en la purifiant des excès du sacré. Le christianisme n’étant pas une religion païenne, l’Église regarde avec suspicion le sacré dont elle sait bien que son exaltation peut conduire à confondre les moyens d’exprimer sa foi avec la foi elle-même, de dévier du chemin vers la foi pour s’égarer dans la superstition. Or, cet approfondissement exigeant suppose un substrat culturel que l’on trouve plus rarement dans les classes populaires, chez des gens animés de « la foi du charbonnier » qui n’ont pas compris l’esprit de la réforme liturgique post-conciliaire et n’ont fait que déplorer la disparition du sacré, au moins son atténuation ; avec pour effet de vider les églises des « gens simples ».

Enfin, ralliée de longue date à la République dont le régime dispose que la moralité est le fruit de la légalité, l’Église a déserté le terrain moral, sinon pour perpétuer un enseignement classique sur la continence sexuelle, que d’ailleurs les scandales de la pédophilie ont fini par discréditer – au moins aura-t-elle su faire preuve de sainteté quand elle a décidé humblement de s’accuser des fautes commises en son sein : on lui reproche d’avoir tardé, mais la République n’a pas eu ce courage.

Gentrification

Sur toutes les autres questions morales, et les plus graves, celles qui engagent non plus l’individu seul, mais la société tout entière, elle est restée silencieuse. En 1975, tandis qu’elle n’ordonnait déjà plus que 150 prêtres, elle s’abstint d’intervenir dans le débat parlementaire sur l’avortement – alors même que son enseignement bimillénaire ne laisse aucun doute sur sa condamnation. Elle s’est par la suite contentée de suivre à la traîne les réformes sociétales engagées à l’initiative de la seule République, s’agissant de la peine de mort par exemple ; ou de prendre la parole longtemps après que tout ait été déjà dit et décidé sur un sujet, comme l’écologie, et pour seulement confirmer le discours officiel. Un sondage de 2017 révèle que les trois-quarts des catholiques ont refusé de se joindre aux manifestations contre le projet de loi légalisant le mariage entre homosexuels, ce qui pourrait laisser supposer qu’à long terme, l’idéologie LGBT obtiendra un plein droit de cité dans l’Église.

Sur cette toile de fond s’est dessinée une gentrification qui a transformé l’Église catholique de France en une Église bourgeoise déconnectée des masses populaires. Toutes les études montrent que, suivant un processus logique que nous avons déjà exposé, la pratique religieuse reproduit strictement la hiérarchie sociale : les plus pratiquants sont les cadres supérieurs des entreprises et les professions libérales les plus rentables ; les pratiquants irréguliers sont les cadres moyens et agents de maîtrise ; les moins pratiquants – bien que se définissant catholiques – sont au bas de l’échelle, ouvriers, employés smicards, etc.

Pour comprendre comment ces catholiques se déterminent au sein de la République, il faut d’abord observer comment se répartissent politiquement les classes sociales. Aujourd’hui, après plusieurs mutations, on s’étonne de retrouver dans les trois plus grandes formations politiques une image, en quelque sorte, des trois ordres de l’Ancien Régime : un « clergé » républicain avec la Nupes, un parti de bourgeoisie moyenne héritière des Grands Ancêtres de 1792 et aujourd’hui gardienne de l’esprit républicain dans sa souche révolutionnaire (« La République, c’est moi » …) ; une « noblesse » autour de M. Macron qui a le soutien des classes privilégiées, mais également de ceux qui, en vieillissant, craignent les grands changements ; enfin un « Tiers-Etat » représenté par le duo Bardella – Le Pen, défendant les revendications d’une France périphérique qui se sent abandonnée et s’appauvrit tandis que les riches deviennent toujours plus riches.

Dans ce processus de gentrification, l’Église, disions-nous, s’est abstenue de mêler sa voix aux grands débats sociétaux ; en revanche, ses prises de positions politiques, notamment par l’intermédiaire de la Conférence des évêques de France, ont été invariablement tournées contre deux personnalités emblématiques de la droite, M. Le Pen, puis le président Sarkozy, principalement au sujet de l’immigration massive, faisant la confusion entre l’étranger qui fait halte chez soi et que l’on se doit d’accueillir, et le migrant qui s’y installe. Or, si l’on considère cette question du point de vue économique, il est clair que cette population sous-qualifiée a longtemps servi de lumpenprolétariat au patronat, permettant de maintenir les bas-salaires au plus faible niveau possible. 

La bourgeoisie a réussi à faire croire que l’arrivée de ces masses a été désirée naguère pour « reconstruire » la France détruite par la Deuxième guerre mondiale, mais en réalité, cette reconstruction était achevée quand le président Giscard d’Estaing a décidé d’ouvrir en grand les vannes de l’immigration. Sa mesure a créé une « armée de réserve du capital », pour reprendre une analyse de Marx : tandis qu’après Mai-juin 1968, un grand patron gagnait 12 fois le SMIC, il le gagne aujourd’hui 240 fois. 

Naturellement l’ensemble des médias appartiennent à la très haute bourgeoisie, qui intervient à sa manière dans la vie politique : dans ce contexte oligarchique, l’Église n’est qu’une caisse de résonance parmi d’autres, répétant le dimanche à l’homélie ce qui a été dit la veille au Journal télévisé. Non sans effet positif pour ceux qui ont tiré profit de la disparition de la lutte des classes : à la présidentielle de 2017, les catholiques ont voté à 62% pour M. Macron ; un chiffre qui certes est tombé à 55% en 2022, mais avec 14% pour M. Mélenchon au premier tour, et même 20% chez les pratiquants réguliers.

La population catholique est aujourd’hui tellement réduite que sa sociologie, en forme de « U », se limite à une barre gauche de ce « U » composée des Africains chrétiens venus de l’ancien empire colonial – auxquels on ajoutera ceux d’origine vietnamienne – et une barre à droite composée de la bourgeoisie catholique dont nous venons de parler. Entre les deux, un résidu de catholiques populaires très minoritaires, que les déclarations récurrentes des autorités ecclésiastiques en leur défaveur pourraient faire fuir encore plus.

[1] Augustin est né à Annaba en Algérie, les deux autres à Carthage dans l’actuelle Tunisie.

[2] Par ce terme, comme sous l’Ancien Régime d’ailleurs, on entendra les familles de la noblesse et celles qui lui sont apparentées. »

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